Considérant le logement comme un droit fondamental, le concept de Housing First (aussi appelé Logement D’Abord) propose au public sans-abri de longue durée le plus fragile un accès immédiat au logement depuis la rue. Les conditions ? Payer son loyer et respecter son contrat de bail (limité dans le temps, afin de permettre une rotation des bénéficiaires). A l’accès au logement s’ajoute un accompagnement visant à permettre à la personne bénéficiaire de se maintenir dans son logement. A plus long terme, il s’agit de lui permettre de redevenir un.e citoyen.ne indépendant.e, capable d’accéder à ses droits et de solliciter les systèmes d’aides de droit commun. Le taux de réussite ? Près de 90% !
Le concept de Housing First a d’abord vu le jour à New York, dans les années 1990, sous la houlette du Dr. Sam Tsemberis. Il a tenté d’améliorer le système d’alors : l’aide au logement “par paliers”, c’est-à-dire un accompagnement progressif qui amène petit à petit au logement. Dans ce système, la personne sans domicile doit satisfaire à des règles avant de pouvoir obtenir un logement. Le Dr. Tsemberis s’est rendu compte, lors de la phase préparatoire de l’élaboration de ce nouveau modèle, que plusieurs problèmes surgissaient :
Le Dr Tsemberis est parvenu à la conclusion qu’en sautant les étapes et en proposant d’abord le logement et ensuite un accompagnement, le taux de réussite explosait. Le modèle s’est ensuite exporté ailleurs dans le monde, avec des résultats tonitruants : “quel que soit le pays où elles sont menées, les pratiques Housing First permettent à au moins 80% des locataires de se maintenir en logement après deux ans”. Un tel taux de succès ne laisse aucune place au doute : cette politique marche. En France, les résultats d’une étude menée par la Délégation Interministérielle à l'Hébergement et l’Accès au Logement (DIHAL) dans le cadre du programme Un chez soi d’abord furent publiés dans la revue European Journal of Homelessness en 2016. Le rapport publié par Housing First Guide Europe confirme cette tendance, citant de nombreuses études entreprises au Danemark, en Finlande, au Pays-Bas, au Portugal, en Espagne, et au Royaume-Uni. Les résultats sont clairs :
Caroline Buxant, docteure en psychologie sociale et coordinatrice de Housing First Belgium, souligne le faible coût de ce type de mesures, et estime que ces résultats donnent “le vertige” et que “la fin du sans-abrisme de rue de longue durée est à portée de décision ministérielle”. Dans un second article publié deux ans plus tard dans la revue scientifique Vie Sociale, Buxant insiste : “les pratiques Housing First fonctionnent en Belgique”.
La première implémentation institutionnelle du Housing First remonte à 2012, lors de l’élaboration du second Plan fédéral de lutte contre la pauvreté. L’article 76 prévoyait “la mise en route d’initiatives inspirées de l’approche Housing First dans les cinq plus grandes villes du pays”, ce qui se traduisit par une phase test de deux ans dès août 2013, reconduite jusqu’en 2016, pour y inclure trois nouvelles villes dans une optique de longue durée. Le résultat ? Après 2 ans, 90% des 141 locataires très fragiles suivis par les équipes du projet sont toujours en logement et se sont approprié leur nouveau lieu de vie. Sans le programme Housing First, seules 48% des 137 personnes sans-abri parviennent à intégrer un logement, 29% sont toujours en situation de sans-abrisme et près de 20% sont en institutions.
Face à des résultats si probants, on est en droit de se demander où en est l’action Housing First en Belgique. En 2018, c’était Mons qui se lançait dans l’aventure. Avec un taux de maintien de 89% à Namur, de 90% à Liège, et de 88% à Charleroi (lancés quelques années auparavant), Mons convainquit les pouvoirs subsidiants afin de sécuriser 145.000€ par an, pour reloger 25 personnes sur trois ans. Le plus difficile, cependant, est à venir : Namur souffre d’un manque cruel de moyens financiers. La structure namuroise affichait alors un déficit de 20.000€. Le sous-financement pour l’accompagnement est structurel, alors même que les logements sont disponibles : le gouvernement wallon est trop frileux, selon Coralie Buxant. En effet, de nombreuses communes et propriétaires privés étaient prêts à fournir des logements. C’est le financement de l’accompagnement qui pèche.
Et à Bruxelles ? En 2018, le budget est passé de 420.000 euros en 2015 à 1.420.000€ en 2018, réparti entre quatre structures, avec un taux de maintien avoisinant les 95%. Fin 2022, c’étaient plus de 20 personnes qui avaient intégré l’une de ces structures, avec un taux de maintien toujours aussi élevé. Selon le Samu Social, il restait encore 5000 personnes vivant dans la rue à Bruxelles. Le défi est de taille, mais les moyens sont là !