Les entreprises belges, tout comme leurs homologues européennes, se trouvent face à un défi de taille : faire cohabiter différentes générations au sein de leurs équipes. D’une part, les personnes âgées de 55 à 64 ans ont un taux d’emploi qui a plus que doublé en 20 ans : de 26,3% en 2000, nous sommes passés à 56,6% en 2022 ! D’autre part, la population vieillit : Si l’âge médian de la population belge n’atteignait même pas 34 ans au début des années 80, il dépasse aujourd’hui 41 ans. D’après les projections des Nations Unies, il devrait atteindre 45 ans en 2040. 

Aujourd’hui, baby-boomers, générations X, Y et Z évoluent ensemble avec leurs visions respectives du travail, de l’autorité, et de l’équilibre vie professionnelle-vie privée.. dont les différences génèrent parfois des conflits. La question n'est plus de savoir s'il faut s'adapter, mais comment. Pour y voir plus clair, nous avons rencontré des employés d'âges, de métiers et d'horizons divers afin de comprendre comment ils vivent cette cohabitation des générations. Nos experts, Godelieve Pata et Michel Wuyts, partagent également leur analyse sur ce sujet brûlant.

Une équipe, trois visions du monde

Marc, 58 ans, responsable technique dans une PME de la région liégeoise, est de la génération des baby-boomers. Lui, le travail, c’est avant tout la loyauté. « J’ai fait toute ma carrière dans cette entreprise. J’ai vu passer des jeunes avec leurs nouvelles idées, mais souvent, c’est l’expérience qui les ramène à la réalité. » Pourtant, Marc ne rejette pas le changement : « Il y a des choses à apprendre de la nouvelle génération. Mais il faut savoir filtrer. » Marc incarne cette génération qui valorise la hiérarchie et le respect de l’autorité. « Ma fille travaille à l'hôpital, et elle remarque que les plus vieux médecins restent plus longtemps à l'hôpital, ne comptent pas les heures. Les plus jeunes, eux, privilégient l'équilibre vie professionnelle - vie privée. Ils sont très à cheval sur le respect de leurs heures de travail. Ca crée parfois des conflits avec le management de l'hôpital. »

À l'opposé, Lucie, 26 ans, gestionnaire de projet dans une start-up bruxelloise, illustre bien l’esprit de la génération Z. « Le monde évolue, les entreprises aussi. Pour moi, l'essentiel, c'est l'autonomie et l'équilibre. Je ne vais pas sacrifier ma santé mentale pour une carrière. J'ai besoin d'espace pour m'exprimer et de souplesse dans mon travail. La flexibilité va dans les deux sens » Pour Lucie, ce qui prime, c’est l’importance de la flexibilité et la reconnaissance individuelle, pour les plus jeunes générations. 

Entre les deux, on retrouve Samira, 42 ans, cadre dans une multinationale. « Je suis arrivée dans l’entreprise à une époque où l'on respectait encore la structure hiérarchique, mais où on commençait à parler de conciliation travail-famille. Pour moi, l'entreprise doit respecter les anciens tout en s’adaptant aux nouvelles attentes. » Pour Samira, l’essentiel est de trouver l’équilibre entre tradition et modernité, soulignant la difficulté pour les plus expérimentés de s’adapter à des managers plus jeunes, tout en formant les plus jeunes générations.

La vision des experts

Pour Godelieve Pata, experte en pensions, ce brassage intergénérationnel est à double tranchant. « En Belgique, la pyramide des âges est en pleine mutation. Nous assistons à un vieillissement progressif des équipes, avec une proportion de travailleurs âgés plus importante que jamais. Cela nécessite des ajustements, notamment en termes de stratégie RH et de fin de carrière. »

Michel Wuyts, directeur et expert pensions, complète : « L'un des enjeux majeurs est la gestion des compétences. Les travailleurs plus âgés ont des connaissances précieuses, mais ils doivent parfois se remettre en question face aux nouvelles technologies. À l'inverse, les jeunes apportent une grande capacité d’adaptation, mais il leur manque souvent l'expérience du terrain. Un management efficace est celui qui valorise ces complémentarités. »

Le dialogue, un levier essentiel

Lors de notre reportage, plusieurs interlocuteurs ont insisté sur l'importance du dialogue pour dépasser les tensions entre générations. Bruno, 34 ans, chef d’équipe dans une société de transport en commun, raconte : « J'ai vu des frictions au sein de mon équipe. Les plus anciens ont du mal à comprendre pourquoi les jeunes ne veulent plus faire d'heures supplémentaires ou réclament plus de flexibilité. Pour résoudre ça, j’ai organisé des discussions de groupe. Il s’agit de comprendre les besoins de chacun et d’expliquer pourquoi certaines contraintes existent. Ça aide à faire tomber les clichés. »

Naima, 50 ans, assistante administrative dans une PME, partage une vision similaire à celle de Bruno : « Dans mon équipe, il y a des jeunes qui arrivent avec plein d'idées nouvelles. Je trouve ça super, mais parfois, ils n’ont pas le recul nécessaire. Le rôle des plus anciens, c'est aussi de les aider à prendre du recul, sans pour autant les freiner. »

Le rôle des managers : conciliateurs et stratèges

Chez Fediplus, on souligne l’importance de la formation continue : En Belgique, de nombreuses entreprises sont perplexes face à l’idée de mélanger les générations lors de formations intergénérationnelles, prévues spécialement à cet effet. Pourtant, cela permettrait de fluidifier les échanges et de réduire les incompréhensions.

Michel Wuyts va plus loin : « Le rôle des managers est crucial. Ils doivent à la fois écouter les besoins des travailleurs plus âgés, qui approchent de la retraite, et intégrer les aspirations des plus jeunes, souvent en quête de sens et de flexibilité. En ce sens, un bon manager est un véritable stratège de la cohésion. »

Trouver l’équilibre entre expérience et innovation

Au terme de notre enquête, il apparaît que le management intergénérationnel est un véritable défi, mais aussi une opportunité. La cohabitation de différentes générations peut enrichir les équipes et créer une synergie puissante, à condition d’adopter une approche équilibrée. C’est en s’appuyant sur l’expérience des seniors et en ouvrant la porte aux innovations des jeunes que les entreprises belges réussiront à créer un environnement de travail propice à la performance et à l’épanouissement de chacun. 

Dans un monde professionnel qui prend de l’âge, la gestion des générations au travail devient une question centrale. En écoutant, en dialoguant et en valorisant la diversité des âges, les entreprises peuvent transformer ce défi en atout.