Notre système de pensions est au cœur d'un débat de plus en plus sensible. Alors qu'une vaste réforme des pensions s'impose comme une priorité pour assurer la pérennité du modèle social belge, un doute croissant s'est installé chez les jeunes, ces dernières années. Les statistiques sont parlantes : selon une enquête récente menée par la Fédération des Entreprises de Belgique (FEB), près de la moitié des jeunes s'attendent à ne pas toucher de pension légale à la retraite . Mais pourquoi ce scepticisme, et comment l’expliquer ?
Sarah, 26 ans, diplômée en droit, résume son ressenti :
"Honnêtement, je n'y crois tout simplement pas. À ce rythme, il n'y aura plus d'argent pour financer les pensions quand j'aurai 65 ans. Chaque mois, je vois une partie de mon salaire partir dans les cotisations sociales, mais je me demande vraiment si cela aura encore un sens pour moi dans 40 ans."
Son opinion est partagée par de nombreux jeunes qui, comme elle, sont convaincus que le modèle actuel ne pourra pas perdurer. Une étude de la compagnie d'assurances NN confirme que 71 % des 18-34 ans s'attendent à ne plus bénéficier de pension légale lorsqu'ils arriveront à l'âge de la retraite .
Pour Baptiste, 30 ans, travailleur indépendant dans le secteur de la tech, le problème va au-delà des chiffres.
"Ce n'est pas seulement une question d'argent ou de politique. C'est aussi un problème de confiance dans le système. On voit les réformes se succéder sans jamais résoudre les problèmes de fond. C’est décourageant."
Les jeunes comme Baptiste ne remettent pas seulement en cause la gestion financière des pensions. Ils évoquent un sentiment plus global d'injustice. Le système semble déséquilibré, favorisant certaines générations au détriment des autres. "Nous cotisons pour des promesses de pensions qui semblent de plus en plus incertaines. C’est comme un système pyramidal où les jeunes se retrouvent à financer un modèle dont ils ne bénéficieront peut-être jamais," ajoute Baptiste.
Le scepticisme croissant des jeunes est alimenté par les débats publics qui pointent les failles du système. La FEB a ainsi alerté sur la nécessité d'une réforme en profondeur. Selon l'organisation, le système actuel est trop généreux et ne peut plus suivre l'évolution démographique . En effet, le vieillissement de la population, l'allongement de la durée de vie, et la baisse du taux de natalité mettent sous pression la viabilité des pensions légales.
"Nous savons tous et toutes que le système doit être adapté," admet Marie, 28 ans, étudiante en sciences sociales. "Mais, en attendant, on a l’impression que les gouvernements successifs n'osent pas prendre de vraies décisions. Résultat, ce sont les jeunes qui en paieront le prix."
Les jeunes ne sont pas seulement inquiets pour leur pension future, mais aussi pour leur situation actuelle. Dans un contexte de précarité économique croissante, nombre d'entre eux ont du mal à mettre de l'argent de côté.
"Je n'ai tout simplement pas d'argent à épargner," confie Mehdi, 23 ans, qui enchaîne des contrats précaires. "On nous demande de penser à l'avenir, mais comment faire quand on vit au jour le jour ? Les loyers sont chers, les salaires stagnent. On ne peut pas se permettre de contribuer à une pension complémentaire alors qu'on ne sait même pas comment payer les factures du mois prochain."
Cette réalité est également confirmée par une enquête réalisée par Moustique qui révèle que 48 % des jeunes Belges ne disposent pas d’épargne pour préparer leur retraite. L'épargne-pension, une solution complémentaire souvent proposée aux jeunes, semble hors de portée pour une large partie d’entre eux.
Outre leurs inquiétudes sur les pensions, une partie des jeunes soutient la limitation de la durée des allocations de chômage dans le temps, selon l’enquête de la FEB. Mais une partie seulement. Pour les autres, pas question de toucher aux acquis. Pour Nadia, 23 ans, récemment diplômée et en recherche d’emploi, cette idée ne fait que rendre le futur encore plus incertain :
"On nous dit qu’il faut travailler longtemps pour avoir une pension, mais si on limite le chômage et qu'on ne trouve pas de travail rapidement, comment on fait ? Je me sens coincée entre deux mondes."
Ce paradoxe illustre bien la difficulté de se projeter dans un avenir stable, surtout quand le marché du travail semble de plus en plus précaire. Luc, 27 ans, informaticien, exprime aussi son scepticisme :
"Les réformes successives ne semblent jamais nous concerner directement, mais on sait que c’est nous qui allons payer les pots cassés. On parle de travailler plus longtemps, mais qui va nous garantir que tout ça tiendra encore dans 30 ans ? Rien ne nous assure que la pension légale existera encore."
Nous n’avons fait que reculer l’âge de départ à la retraite, sans encourager l’employabilité des seniors, ni compenser les mesures concernant l'emploi des jeunes, contraints de travailler plus longtemps. Mais jusqu'à quand ? Selon le Bureau Fédéral du Plan, la part des plus de 65 ans dans la population ne fera qu'augmenter au fil du temps, même après la disparition complète de la génération des babyboomers, en 2055. En effet, en 2070, les 65+ représenteront 26,77% de la population totale, contre 20,03% actuellement, et 13,43% en 1977.
De ce doute naît parfois un ressentiment, comme Lou, interviewée par un magazine concernant l'emploi des jeunes : "Je reconnais en vouloir un peu à certaines personnes plus âgées, admet Lou. Quand je discute avec certains membres de ma famille, ils sont complètement en dehors de la réalité. Ils s’imaginent qu’on ne veut pas travailler, alors que le contexte actuel est complètement différent de ce qu’ils ont connu. Je trouve cela assez injuste qu’aujourd’hui, de jeunes actifs n’arrivent pas à boucler les fins de mois avec leur salaire, quand certaines personnes touchent une retraite depuis plus longtemps qu'ils n'ont cotisé."
Face à cette méfiance grandissante, certains experts préconisent une série de réformes pour redonner confiance aux jeunes. Limiter la durée des allocations de chômage, une mesure envisagée par certains jeunes dans l’enquête de la FEB, pourrait redynamiser le marché du travail et rendre le système plus équitable. D'autres, comme au sein de la FGTB, estiment que les cadeaux fiscaux aux plus fortunés doivent se réduire, et que chacun doive contribuer à la viabilité de notre système de sécurité sociale.
"Il faut réformer, mais avec une vision à long terme," selon Thomas, 27 ans, analyste en politique économique. "Les jeunes doivent sentir qu'ils sont partie prenante du système, pas juste des contributeurs sans perspective de retour sur investissement."
Une autre piste serait de renforcer le pilier des pensions complémentaires, en incitant les jeunes à commencer à épargner plus tôt et à bénéficier de davantage d'avantages fiscaux. Mais cela ne pourra se faire que si des conditions salariales plus favorables leur permettent de dégager une épargne régulière.
Alors que les réformes peinent à s'installer, les jeunes continuent de naviguer entre scepticisme et espoir. Malgré les doutes, beaucoup souhaitent encore croire qu'un système plus juste pourra voir le jour. "Il faut un véritable contrat social entre les générations," conclut Sarah. "Sinon, on finira par tout perdre : la confiance, le modèle de solidarité et, au final, la sécurité de nos vieux jours."
Le défi pour les gouvernements à venir sera de trouver cet équilibre, pour que les jeunes d'aujourd'hui puissent encore croire en une pension demain.