Le World Economic Forum (WEF), souvent appelé Forum de Davos, a publié son rapport Global Risk Report 2025, qui analyse les tendances globales à venir pour la prochaine décennie. Notons à ce propos que le rapport est assez... succinct dans ses analyses. Les problèmes et solutions proposées peuvent donc paraître très (parfois trop) générales, l’éternel écueil de ces méta-analyses.
Parmi les tendances relevées, le rapport accorde une attention toute particulière à la transformation démographique des sociétés en “sociétés super âgées”. Ce terme recouvre les pays où plus de 20 % de la population est âgée de 65 ans ou plus, un phénomène en très forte expansion. En 2025, plusieurs nations – dont le Japon et l’Allemagne – ont déjà atteint ce seuil. Selon le rapport, la population mondiale des 65 ans et plus augmentera de 36 %, passant de 857 millions à 1,2 milliard en 2035. Cette évolution, dont on ressent déjà les secousses, modifiera en profondeur les économies, les systèmes de retraite et les marchés du travail nationaux et internationaux.
Les systèmes de retraites actuels, conçus pour des populations plus jeunes et des durées de retraite plus courtes, sont “dépassés face à l’augmentation des ratios de dépendance”, note le rapport. En clair : il y a de moins en moins de travailleurs actifs pour de plus en plus de retraités, lesquels vivent de plus en plus longtemps. Cette situation entraîne des tensions financières significatives sur les budgets des pensions publiques, de par la réduction relative des cotisants ; et privées, à cause de la réduction des contributions et de l’allongement de la durée de vie. Ces tensions amèneront les fonds de pension à investir dans des actifs plus risqués, comme “des crypto-monnaies, des prêts privés et autres investissements alternatifs”. Ceux-ci proposent des rendements potentiels plus élevés, qui, on le sait, sont accompagnés de risques significativement plus élevés.
Un autre risque relevé par les experts du WEF provient du passage des pensions à prestations définies aux régimes à cotisations définies, qui “transfère la responsabilité de l’épargne sur les individus”, selon les experts. Pourquoi ? Car dans un régime à prestations définies, l'entreprise ou l’individu prend un engagement sur le niveau de la prestation à terme : c’est en quelque sorte une obligation de résultats. Les cotisations peuvent fluctuer en fonction du contexte économique afin de parvenir à ce résultat.
Dans un régime à cotisations définies, c’est tout le contraire : le souscripteur du contrat prend un engagement sur le montant de la cotisation et non sur le niveau de la prestation à terme. Le montant du capital atteint au moment de la liquidation n’est pas garanti puisque la prestation découlera du financement et de la gestion des fonds. Le financement nécessaire au paiement de la prestation promise n’est généralement déterminé qu’a posteriori.
Le problème, c’est que de nombreuses personnes manquent de ressources suffisantes ou de connaissances financières pour mettre sur pied une stratégie financière pour leur pension, et optimiser leur épargne. Et ce, même parmi les couches éduquées de la population. Par ailleurs, souligne le rapport, l’émergence de l’économie des petits boulots (« gig economy ») “accentue les déficits de cotisation, en particulier parmi les travailleurs précaires”. En effet, le rapport note que les personnes travaillant dans ces petits boulots réalisent des contributions significativement moins importantes que dans d’autres formes de travail.
Enfin, les experts de Davos mettent en exergue la situation des femmes, disproportionnellement affectées. En Europe, leurs pensions sont en moyenne inférieures de 30 % à celles des hommes. Cette disparité, selon les experts du WEF, résulte de pauses dans leur carrière pour des responsabilités familiales et de salaires historiquement plus bas, avec des contributions moins élevées, et donc, des pensions moins élevées. Ces écarts exacerbent leur risque de pauvreté à l’âge de la retraite.
Les sociétés super-âgées devront également relever des défis systémiques en matière de main-d’œuvre. Les pénuries, déjà visibles dans le secteur des soins, devraient s’intensifier à mesure que les besoins augmentent du fait d’un nombre de personnes âgées plus élevé.
Pour combler ces pénuries, de nombreux pays s’appuient sur l’immigration. Cependant, cette stratégie présente des limites : les travailleurs migrants sont souvent sous-payés, mal informés de leurs droits, et surreprésentés dans des emplois peu réglementés. De plus, une émigration massive de jeunes travailleurs pourrait priver les pays d’origine de leur potentiel économique futur.
Les systèmes de soins sont “confrontés à une demande croissante”, mais les conditions de travail “restent précaires” pour les employés, et le financement peine à suivre la demande. Si aucune amélioration n’est apportée en termes de rémunération, de conditions de travail et de budget, les systèmes de santé occidentaux risquent de s’effondrer.
Des outils tels que les robots d’assistance, les applications de télémédecine ou les chatbots médicaux peuvent accroître l’efficacité des soins pour des consultations non-urgentes. Cependant, ces innovations ne suffiront pas à résoudre la crise des soins à long-terme, selon le rapport. Le contact humain reste essentiel, notamment pour répondre aux besoins physiques, sociaux et émotionnels des personnes âgées.
Les auteurs du rapport expliquent que l’adoption de politiques de travail flexibles pourrait élargir la participation au marché du travail, “notamment parmi les femmes et les seniors”. Il est impératif de repenser les conditions de travail des seniors si l’on souhaite qu’ils puissent travailler plus longtemps, afin de soutenir les systèmes de pensions. Des programmes de formation et de reconversion sont également “indispensables” pour intégrer ces groupes au marché de l’emploi.
Les tensions entre générations, alimentées par les défis de financement des retraites, menacent la stabilité sociale. Pour y faire face, expliquent les auteurs, il est crucial de favoriser des politiques inclusives et des initiatives renforçant les liens sociaux intergénérationnels.
Les entreprises et les gouvernements “doivent encourager des équipes intergénérationnelles” et des programmes de mentorat. Les experts notent que plusieurs études ont conclu que les initiatives renforcent non seulement la productivité, mais permettent également une meilleure compréhension mutuelle.
Les auteurs proposent de se pencher sur des projets comme les “districts de santé” de Singapour, où des quartiers pensés autour d’infrastructures encouragent des modes de vie sains. Ces quartiers “peuvent alléger la pression sur les systèmes de soins” tout en favorisant une plus grande autonomie des individus en matière d’activité physique et de nutrition.
Les sociétés super-âgées posent des défis considérables, mais elles offrent également une opportunité de transformer les modèles sociaux et économiques. Les solutions “devront être innovantes et inclusives, associant gouvernements, entreprises et citoyens”, selon les experts du WEF. Une approche proactive “permettra non seulement de relever ces défis, mais aussi de construire des sociétés plus équitables et résilientes à long terme”, concluent les auteurs.